Sur le rivage d’une île, en Matheysine
Ce jour-là, après avoir croisé une vieille garde figée par les éléments (voir message précédent), nous montions, montions, dans le brouillard sans trop savoir si l'on allait sortir au sommet du Sénépy (1769m) au-dessus d’une mer de nuages ou bien rester dans les limbes.
Une belle inversion de température : Il fait plus froid en fond de vallée qu'en altitude, et selon l'humidité de l'air, une mer de nuages se forme ou non, plus ou moins épaisse.
Cette fois, la couche de nuages mesurait 700 m environ. Nous n'en sommes sortis qu'à l'arrivée sur le plateau sommital, à 1750m. Moment magique et à vrai dire, un peu inespéré.
Dans ces conditions, c'était le moment idéal pour faire un autoportrait : Ben oui, là c'est moi !
Le spectre de brocken apparaît lorsque l'on est face à un nuage et dos au soleil. L'ombre projetée est visible et la rétrodiffusion de la lumière par les gouttelettes de la masse nuageuse, la diffraction et la réflexion interne dans les gouttelettes, forment un spectre lumineux, phénomène identique à celui de l'arc-en-ciel.
Déboucher ainsi sur les alpages du Sénépy, entourés d'un océan de nuages, passer de l'ombre à la lumière crue, tout ça était un peu déroutant.
Le plateau était désert, seuls émergeaient les sommets dépassant 1700m. La barrière Est du Vercors (image ci-dessous). L'Oisans, Belledonne, le Dévoluy et sa majesté l'Obiou, star du lieu. Au loin, la Chartreuse, à peine visible.
Naufragés volontaires, naturellement et sans y penser, nous avons fait le tour de notre île, suivant le rivage. Un tétras-lyre nous a doublés, seul signe de vie dans l’immensité immobile.
La mer pourtant était vivante, imperceptiblement elle coulait vers le Nord, respirait. Son souffle léchait les pentes, elle montait puis redescendait, nous enveloppant quelques instants avant de se retirer, évanescente... Etrange impression
Surprenant en tout, je ne sais pourquoi m'est venu là-haut le souvenir lointain du Rivage des Syrthes. Ça collait bien cette ambiance.
Surprenant aussi ce vaisseau fantôme échoué là.
Arche de Noé ou restes du "Redoutable" ? Vaisseau de fortune échoué là ? Abreuvoir, simplement ? Peut-être. Il attend !
Et puis le soleil baissant, il a fallu se résoudre à s'immerger de nouveau dans les abysses. On a bien résisté un temps, assis au bord du gouffre, pas pressés de quitter le soleil. Mais le chemin était encore long, ne pas attendre la nuit. Nous avons plongé...
Un dernier coup d'œil à l'Obiou, le brouillard et l’ombre nous ont avalés.
Lundi 28 novembre 2016, Matheysine, massif du Sénépy
Merci à Claude, grand sorcier au GPS magique. Sans lui on ne serait pas montés, ou alors, on serait devenu, pour de bon, de vrais spectres ...